27 août 2014

Verdun, jeudi 27 août 1914

Louis Pergaud écrit à son épouse :


   ... " De forteresse, notre régiment deviendrait régiment de marche ; en tout cas, quelques compagnies, mais pas la mienne, ont déjà écopé légèrement, très légèrement. La plus grosse perte est le colonel tué, comme je te l'ai raconté hier, sur une tranchée, par imprudence.
   Le moral un peu abattu redevient solide. Le 15e corps qui avait reculé à Laneuville s'est ressaisi, et a racheté sa défaillance momentanée en prenant une offensive vigoureuse. Quant aux artilleurs dont je t'ai parlé et qui, sans combattre, avaient abandonné leurs pièces, il est à croire qu'ils ne seront pas tentés de recommencer. Leurs capitaines et deux lieutenants, traduits en Conseil de Guerre, ont été fusillés pour abandon de leur poste devant l'ennemi. C'est juste, c'est nécessaire. Dure nécessité, mais tant pis. La France avant tout.
   Etain, petit chef-lieu de canton à 17 kilomètres de Verdun, a été partiellement brûlé. Dans les villages plus avancés vers la frontière, ils se sont livrés à des atrocités sans nom. J'ai vu, ce matin, des jeunes soldats appelés, qui m'ont dit que dans leur village 63 personnes, femmes et enfants, ont été assommées, le reste a fui en désordre gagnant Verdun dans des charrettes, emportant quelques hardes emmenant une vache ou deux.
   Le pays est déblayé depuis, par le 131e, le 165e et le 166e et aujourd'hui ces pauvres gens regagnent leurs villages. J'en ai vu un long convoi défiler. Que c'était triste ! Derrière de vieux chevaux (les bons ayant été réquisitionnés) venaient des voitures à échelles et à planches où des gosses et de vieilles femmes emmitouflées se tenaient sans larme d'avoir trop pleuré déjà, sans doute, toute face contractée en un masque tragique de douleur concentrée et muette. Des adolescents suivaient. Des vieux plus placides et graves marchaient à côté, et les vaches attachées par leurs longes meuglaient longuement, ne comprenant rien sans doute à cet exode désolant.
   Ah ! si nous sommes victorieux ; les misérables ! Ils paieront cher nos morts et nos villages incendiés et nos blessés achevés et toutes leurs atrocités.
   Nous ne les achevons pas, nous, et nous ne tirons pas sur les ambulances comme ces bandits qui assassinent nos médecins au moment où ils les soignent.
   Mon bon petit Riquet, voilà bien des choses terribles ; mais n'y pense pas trop pour ne voir que le résultat final et espérer mon retour.