17 août 2014

17 août 1914

Louis Pergaud écrit à son épouse :

   "... Ici, à Jardinfontaine, les ordres se succèdent avec une foudroyante rapidité. Après avoir pensé partir, puis reçu l'ordre de rester, on vient à nouveau de recevoir l'ordre de se tenir prêts à partir, le sac bouclé, l'équipement monté et un repas froid dans la musette ...
   ... Avant-hier, en ramenant au quartier mes quarante poilus avec qui j'avais déchargé des wagons de foin, j'ai trouvé un fer à cheval à sept trous, que j'ai précieusement ramassé, comme "Vise lou Bû" partant en guerre, et que j'ai rapporté à la main, ne pouvant le passer comme ce digne compatriote, dans la "bande de ma gargasse" 1. Il pleuvait d'ailleurs à verse, et il est impossible de te dire la hauteur de boue qui salit les routes. Ce n'est pas étonnant après les flots de poussière qui roulaient derrière les autos et les caissons en marche. C'est devant nos fenêtres un incessant défilé de convois de troupes. Des blessés et des prisonniers reviennent chaque jour, et, chaque jour, revient un canard enjolivé de fantaisie. Hier, c'était celui-ci : un régiment prussien cerné, dans une forêt, refusait de se rendre. On allait foutre le feu. Et un loustic ajoutait : après l'avoir arrosé de pétrole.
   Je regrette de n'avoir pu, au jour le jour, noter tous les bruits. J'en oublierai certainement et des plus drôles. Mais souvent la fatigue est si forte qu'il est impossible de songer à prendre la plume ou le crayon."

1. La ceinture de ma culotte : Allusion à un vieux récit patois autrefois très populaire dans le haut Jura est recueilli par Max Buchon dans ses Noëls et Chants populaires de la Franche-Comté (Salins, Librairie Billet et Duvernois, 1863). Louis Pergaud lui avait, sous les auspices des Francs-Comtois à Paris, consacré une conférence le 7 décembre 1913. "C'est, disait-il, l'histoire du naïf guerrier Vise lou Bû, né natif de Chapelle-des-Bois et qui dut s'illustrer dans quelques campagnes du règne de Louis XV. A une bravoure incontestée, Vise lou Bû dont le nom signifie "Regarde le Taureau", allie une naïveté charmante qui n'est toutefois pas dépourvue d'une certaine malice".