26 août 2014

Mercredi 26 août 1914

Louis Pergaud écrit à son épouse :

   " ... notre régiment est sur les lignes depuis avant-hier, et, bien qu'il n'ait pas encore pris au feu une part active, il se pourrait qu'avant peu il devienne nécessaire de combler les vides.
   Il paraît que notre colonel a été tué, hier, d'une balle à l'oeil. Une imprudence ! Cet homme était intrépidement brave. Nos soldats se trouvaient dans les tranchées bien abritées, prêts à une défensive vigoureuse. Il y est venu et aurait pu se contenter comme eux d'observer sans être vu. Froid, calme et grave, il a monté sur la tranchée, il a pris sa lorgnette pour examiner le terrain en avant. Le résultat ne s'est pas fait attendre, et bientôt le vieux brave a été allongé raide à côté de ses hommes.
   Evidemment, ce n'est qu'un des mille et un incidents de cette terrible campagne et devant l'ensemble cela ne doit pas compter.
   Nous avons eu ce matin des nouvelles de Paris. Un numéro du "Matin" d'hier est parvenu je ne sais trop comment, et nous l'avons dévoré. Nous savions déjà à peu près ces choses-là. Je vois que Paris est renseigné comme nous : par conséquent, je ne puis te donner que des anecdotes que nous ont contées les blessés que nous recevons.
   En général, leurs blessures, même graves, ne mettent jamais leurs jours en danger. On est occis raide, et alors on ne souffre pas, ou bien on est quitte pour une balle dans la patte ou dans le bras qui vous immobilise.
   J'ai envie d'acheter ici un petit browning, car si j'étais blessé et qu'un boche vienne pour m'achever, j'aimerais assez lui brûler la gueule avant de mourir. Envoie-moi dans une lettre recommandée un billet de 50 francs ou mieux un mandat télégraphique dont tu garderas soigneusement le talon au cas où il ne m'arriverait pas. Au demeurant, envoie-moi 100 francs, car si nous restons encore quelque temps j'entamerai forcément ma petite réserve d'or que je voudrais conserver intacte pour entrer en campagne".