24 août 2014

Lundi 24 août 1914

Louis Pergaud écrit à son épouse :

   "Hier, toute la journée, le canon a tonné. Il y a eu, à 15 ou 20 kilomètres en avant de nous, un engagement assez sérieux, et, hier soir et toute la nuit, jusqu'à deux heures du matin, ça a été une arrivée ininterrompue de blessés.
   Quel triste spectacle ! et pourtant bien réconfortant.
   Ils avaient devant eux des forces dix fois supérieures, et ont dû reculer légèrement, hachés par les mitrailleuses, après avoir chargé à la baïonnette sur des fausses tranchées garnies de silhouettes avec des casques à pointe.
   J'ai causé longuement avec quelques-uns ; de tout jeunes gens, presque des gosses. Ils ont vu tomber leurs camarades, ils ont vu la mitraille faire des trous à côté d'eux, ils sont tombés et ne demandant qu'une chose : guérir vite pour repartir. Vraiment, devant tant de calme simplicité et de naturel héroïsme, nous étions vaguement honteux, mes camarades et moi, de n'avoir pas été de l'affaire. Notre tour viendra. Mais vraiment, c'est une question de chance uniquement. L'un d'eux me disait : c'est drôle, je voyais tous mes camarades tomber, j'entendais siffler les balles et cracher la mitrailleuse, et je n'ai rien reçu. Un autre tombé avec une balle au mollet et des éclats d'obus à la figure dit avoir vu des sous-officiers allemands achever des blessés à coups de revolver.
   Quelles canailles et quelles brutes ! Dans les villages en avant de nous qu'ils ont réussi à réoccuper, ils ont tout brûlé, pendu les jeunes gens de 16 à 17 ans, égorgé les femmes ; on disait même qu'ils avaient arraché le sein à une jeune mère qu'ils voulaient obliger à tuer son enfant de ses propres mains.
   On comprend l'exaspération et la rage de ceux qui d'assez près ont pu assister à ces actes de férocité et combien il sera difficile aux gradés de les rappeler aux sentiments d'humanité envers eux s'ils sont vaincus ...
   Rien n'est respecté par les Prussiens - car on dit que les Bavarois et les Saxons ne sont point inhumains. Les ambulances, ils y mettent le feu ; les vieillards, les femmes, les enfants, cela ne compte pas ; ils ont conscience vraiment que tout est fichu pour eux, s'ils ne sortent pas victorieux de l'épreuve, et comme ils sentent la partie sinon perdue, du moins très mauvaise, ils usent de tout. Mais cela ne leur portera pas bonheur ! Il est nécessaire, il est urgent de détruire jusqu'à la dernière pierre et jusqu'au dernier individu cette race de vipères qu'est la race prussienne ; l'avenir de l'Europe et du monde dépend de cette destruction. Nous ne faillirons pas à cette tâche.
   Les Russes avancent, paraît-il, à grands pas. Encore quelques jours et nous verrons de grandes choses ; du moins, je veux l'espérer, car il est impossible que la France et la Civilisation humaine soient anéanties par des hordes, si bien organisées soient-elles, de misérables, sans coeur et sans âme ... "