13 août 2014

Jeudi 13 août 1914

Louis Pergaud écrit à son épouse :

   "Hier, j'ai été incapable de t'écrire. J'étais tellement éreinté, assommé par la  chaleur et la fatigue, que j'ai passé sur mon matelas les heures de repos.
   Car, en attendant l'heure qui ne saurait guère tarder maintenant de reformer, avec les gens valides du dépôt, une compagnie de marche, nous passons, qui les journées, qui les nuits, à décharger du blé ou à rouler des tonneaux.
   Tous les jours, la 29e compagnie voit diminuer son effectif qui part, par petites fractions, à Chevert, former de nouvelles unités.
   Aujourd'hui, on vient de nous dire de nous tenir prêts d'une minute à l'autre. Je t'aviserai immédiatement de ce départ, ce qui ne signifiera pas forcément que je vais me rendre tout de suite sur la ligne de feu.
   Nous menons en attendant une vie extrêmement pittoresque, et, n'était la chaleur assommante, ce serait presque agréable.
   Tous les jours, il arrive des blessés, mais en général, les blessures sont assez peu dangereuses, les projectiles, des shrapnells allemands, étant beaucoup moins meurtriers que les nôtres. Même touché, tu vois, on conserve beaucoup de chances de s'en tirer. Ainsi donc rassure-toi, car pour l'heure je ne risque rien et pour l'avenir pas grand-chose. J'ai d'ailleurs foi en mon étoile."
   Dernièrement, j'ai pu en compagnie de deux camarades, visiter Verdun. Quel aspect ! Presque tout le monde a quitté la ville. Rien que des troupes et encore des troupes. Quelques femmes avec le brassard de la Croix-Rouge et quelques hommes avec leur brassard de mobilisés. Tout inconnu est arrêté, et, si l'interrogatoire n'est pas satisfaisant, mis à l'ombre. La nuit, les patrouilles circulent partout, arrêtent tout le monde.
   La corvée de cette nuit, qui est rentrée à trois heures du matin, a été arrêtée au moins dix fois. A part cela aucun bruit de canon. Pourtant on se bat à 20 kilomètres d'ici, du côté de Montmédy.
   Les territoriaux arrivent, et ce ne sont que chants et clameurs enthousiastes :
   - On y va ! A bas Guillaume ! A mort ! Ah ! Le salaud !
   J'ai eu un léger mal de gorge, à la suite d'un chaud et froid. Mais j'ai mis ma chaussette autour de mon cou pour la nuit, selon les vieux principes de ma grand-mère, et aujourd'hui cela va très bien. Je me suis procuré une petite gourde recouverte d'osier que j'ai remplie de rhum sucré pour les moments critiques. Mon bidon est bon, ma musette solide, mon sac neuf, et je me sens de vrais pieds de fantassin."


Jeudi 13 août 1914