29 sept. 2014

Mardi 29 septembre 1914

Louis Pergaud écrit à son épouse :

   "... Jusqu'ici on n'a pas encore fait appel à mes services et je reste chef de section sans emploi. Tu aimes autant me sentir ici où, du moins, je suis à l'abri des balles et mieux que dans une tranchée.
   Je t'avoue pourtant que je serais très ennuyé de rentrer là-bas sans avoir vu le feu autrement qu'à quelques kilomètres des zones dangereuses.
   A ce point de vue, toutefois, je n'ai rien à me reprocher, ayant demandé à partir dès le début. J'avais en effet été désigné et puis il y a eu contre-ordre et je suis resté ; j'ai passé mon brevet dans l'espoir de partir plus tôt et rien ne vient ; alors, je me résigne et m'en remets au Destin qui a, jusqu'à ce jour, veillé particulièrement sur moi.
   La journée d'hier s'est passée sans accroc : nous attendons, comme vous là-bas sans doute, des nouvelles de la bataille engagée. Les pronostics étaient bons, mais nous ne voulons pas nous laisser aller à la joie tant que la dépêche officielle ne sera pas affichée.
   Cette nuit, j'ai dormi comme un prince, rêvant à notre petite chambre de là-bas, si tranquille, si bien arrangée, si intime, et à mon cabinet de travail, à ma table, à mes manuscrits épars. Que de documents défilent sous mes yeux, s'enregistrent. Ah ! j'ai du pain sur la planche pour tout le reste de ma vie d'écrivain 1. Bonne petite qui travaille gentiment le soir à mes côtés en tenant ta langue immobile, j'aurai bien des pages à te lire que tu écouteras d'une oreille plus attentive encore que jadis, car ce seront des histoires vécues réellement que je narrerai alors ..."


1 - "C'est pittoresque presque avec excès mais un romancier ne doit pas craindre l'excès surtout après avoir écrit La  Guerre des boutons." Cf. lettre à Eugène Chatot du 29 octobre 1914, que nous publierons dans cette série.