6 avr. 2015

Mardi 6 avril 1915

Louis Pergaud écrit à son épouse :

   "Nous n'avons pas bougé hier. Ce sont les régiments arrivés qui ont donné le gros effort en avant de nous et au Nord. Rassure-toi donc si tu vois dans les communiqués que ça chauffe dur par ici. D'ailleurs je crois qu'on fait de bonne et profitable besogne.
   Hier, toute la journée, ça a été la chasse aux cantonnements. Il a fallu expulser de leur domicile ou plutôt du domicile qui nous était échu des troupiers et des officiers qui s'y étaient installés et cela ne s'est pas fait, par endroit, sans quelque tirage.
   Dans l'après-midi, on a vu quelques autres officiers. Je suis monté sur les collines qui dominent le pays pour assister à la canonnade toute proche. C'est un spectacle qui valait la peine d'être vu. Après avoir été acteur dans le drame, on peut se payer le luxe d'être spectateur.
   Cela offrait quelque chose de terrible et de grandiose cette ceinture de fumée à l'horizon et des trains allemands au loin filant à toute vitesse pour amener sur un point attaqué - du moins, je le suppose - des renforts.
   Le soir, une partie de notre bataillon partait en corvée sur le front pour rétablir des tranchées d'approche et d'autres à 2 heures filaient seconder en réserve les troupes d'attaque. Pendant ce temps, sur ma paillasse, enveloppé dans mon sac de couchage et ma couverture, je reposais du sommeil du juste : reposais, c'est une façon de dire, car à toute heure j'étais réveillé : départ des uns, arrivée des autres, passage de troupes, de convois, d'auto-mitrailleuses et d'autos-canons, tout un joli matériel solide et neuf, roulant et ayant bien bonne mine.
   Et puis, le jour est revenu ; d'autres régiments arrivent encore ; nous, nous restons tous dans une seule maison. C'est à la fois ennuyeux et gai. Et, après la pluie, le soleil se montre un peu. S'il pouvait faire beau seulement. Dans ces sacrés marais où, dès qu'il pleut on a de la boue jusqu'aux jarrets, il est difficile de manoeuvrer.
   Enfin, ça va, ça ira. Tout le monde a confiance et bon espoir.
   Ce matin, comme j'allais voir au bureau s'il y avait des ordres, j'ai trouvé les sous-officiers en train de se faire photographier. Ils m'ont invité à prendre place parmi eux et j'aurai peut-être dans quelques jours une nouvelle photo à envoyer à mon petit cri-cri. Je suis en centre et tu me reconnaîtras, je l'espère, entre Oudin, le barbu, coiffé d'un bonnet de police et l'adjudant de la compagnie, le nouveau, Maillet, un bien gentil garçon aussi. Raveton m'a photographié également, il y a une quinzaine, mais il envoie ses clichés à Paris pour les faire développer et je ne sais pas quand je verrai les épreuves. Dès qu'il me les aura données, je te les enverrai. Comme ça, tu auras des moi plusieurs photos fidèles qui ne seront pas retouchées."




Cette lettre est l'avant-dernière de la correspondance de Louis Pergaud au front puisqu'il disparut dans la nuit de 7 au 8 avril 1915.