16 févr. 2015

Dimanche 14 février 1915 - Lundi 15 février 1915


Nous poursuivons la publication de quelques lettres de Louis Pergaud comme éléments de mémoire de la Grande Guerre qui, rappelons-le, a pris une dizaine de jeunes gens à Voillans.

Nous parlerons d'eux prochainement.

Louis Pergaud écrit à son épouse :

Le Dimanche 14 février 1915

   "Il faisait hier un temps à ne pas mettre un Boche dehors : pluie et vent ; aujourd'hui, il ne pleut plus et le soleil se montre par moments, mais le vent reste violent et la température plus que modérée. Je pensais hier, en voyant la pluie fouetter mes carreaux de papier, aux pauvres poilus qui étaient dans la tranchée et je me trouvais heureux d'être dispensé d'y retourner ...
   A Verdun, je me suis commandé chez le maître tailleur une tenue en nouveau drap que je n'aurai pas avant quinze jours ou un mois peut être. D'ici là, pour avoir un peu d'allure et en imposer aux poilus selon le voeu de mon chef de bataillon qui désire me voir "plastronner" un peu, j'ai fait mettre à ma tunique des écussons dorés et ajouter à ma capote, avec les galons réglementaires, un col rabattu et de nombreuses poches. Avec un képi neuf, cela me donne fort bon air et je crois que tu me trouverais à ton goût si tu pouvais me voir ...
   Bonne petite, si tu savais comme je pense à toi ; à toute heure, ma pensée va errer vers une de nos heures passées, mais c'est surtout le soir, quand je me retrouve seul dans ma chambre, que cette hantise devient profonde ...
   Il y a aussi nos doux attendrissements, sous la lampe, en lisant des vers, de beaux vers bien remplis et solides, ceux de ce pauvre Deubel 1, les strophes d'airain de Baudelaire, et quelques élégies de Samain. Ma toute belle, comme il me sera doux de recommencer cette vie de douceur, de calme et de tendresse passionnée. Nous resterons chez nous plus que jamais. D'ailleurs, il en est tant déjà de nos meilleurs amis dont le nid est détruit et dispersé."

Le Lundi 15 février 1915, il poursuit :

   "Il fait aujourd'hui un temps indécis de printemps, un soleil de jaunisse et pas très chaud ...
   " Le Bulletin des Ecrivains de février signalait la mort de Maurice Colin, tué en prenant un drapeau et cité à l'ordre du jour. J'ai demandé à Divoire de me laisser écrire quelques mots sur lui : Ce sera quelques fleurs jetées sur sa tombe : puissent-elles adoucir un peu la douleur des siens. Est-ce que son frère Sadi n'a pas été tué lui aussi ? Tâche de m'avoir quelques renseignements (date de naissance, par exemple, nombre d'enfants, etc. 2).


1 - Léon Deubel (1879-1913) Ami très proche de Louis Pergaud. Considéré comme un Poète Maudit, il laisse cependant une oeuvre importante. Il fut élève du Collège de Baume-les-Dames. Sa mémoire a été honorée en 2014 à la médiathèque Jean Grosjean.

- Maurice Colin (1891-1914) se destinait à l'enseignement. Il avait publié des poèmes dans des revues locales et il figure dans l'Anthologie des Ecrivains morts à la guerre. Son frère Sadi (1892-1914) fut tué le même jour que lui, et à quelques kilomètres de lui, à Vic-sur-Aisne. Son autre frère Louis, grièvement blessé en Artois, fut un peintre de talent et un spécialiste du cinéma éducatif et scolaire.