27 sept. 2014

Dimanche 27 septembre 1914

Louis Pergaud écrit à son épouse :

   "J'ai reçu aujourd'hui ta lettre du 20. Comme tu es gentille, ma bonne chérie, de m'écrire si souvent et de si charmantes lettres. Je sens tout ton coeur y vivre, et cela me réconforte et me console.
   Pour l'instant je suis encore ici, jusques à quand ? Je l'ignore. Mais il est à présumer que nous marcherons tous sous peu. En tant que titulaire (car j'ai été reçu deuxième, avec une moyenne de 15 sur 20) du certificat d'aptitude à l'emploi de chef de section, je partirai peut être avant les autres. Je suis bien équipé. Mon sac, tout neuf, contient tout ce qui m'est nécessaire ; j'ai remplacé la petite musette par un solide carnier de cuir où je peux mettre des tas de choses et au lieu de la lourde gamelle, j'emporterai un petit plat d'aluminium léger et solide. J'ai toute une petite pharmacie : de l'alcool de menthe, des pastilles contre le rhume, de l'élixir parégorique pour les coliques, je n'attends plus que ton envoi pour ne rien redouter du côté de mes tripes. Mes pieds sont en bon état, et mes souliers que j'ai fait retalonner et clouter sont aptes à faire campagne. J'ai une excellente capote, et je me suis procuré ici un mauvais tricot, qui néanmoins vaut mieux que rien. Ainsi, tu vois, ma chère petite, je n'ai rien à redouter que les balles et les éclats d'obus, et je veux, sur ce point, avoir confiance en mon étoile ...
   ... Maintenant que je suis bien portant, j'appréhende plus que jamais de tomber malade. Cela se comprend : les médecins surmenés donnent plutôt leurs soins aux blessés qu'aux malades et pourtant il en est au dépôt qui sont plus à plaindre souvent que des hommes légèrement blessés.
   Ici, nous en avons un, un major d'infanterie de marine, qui est l'homme le meilleur et le plus sympathique du monde. On le sent plein de coeur et de bonne volonté ; mais il n'y a rien à faire souvent.
   A la gare où l'on débarque des blessés français et allemands, les uns sont paternels et doux, les autres brutaux 1. Que diable faire ? Rien, attendre et s'en remettre au Destin.
   Un aéro allemand a passé hier au-dessus de nous, lançant quelques bombes qui n'ont produit que des dégâts insignifiants ; l'une d'elles n'a même pas éclaté. Nos canons ont tiré dessus et nos lebels aussi, mais il était tellement haut qu'il a pu s'en tirer sans rien recevoir ; du moins, s'il a reçu quelques pruneaux, il ne nous a pas fait le plaisir de dégringoler.
   Nous vivons à douze dans une chambre assez vaste, claire et gaie ; les camarades sont pleins de bonne humeur et d'entrain ; souvent ils plaisantent comme des jeunes gens bien qu'ils n'aient guère moins de trente ans."

1 "Un sergent accusé de mutilation volontaire insulté par des majors sans preuve, engueulé deux heures durant et, pendant ce temps, les blessés attendant des soins." (carnet de guerre)