5 nov. 2014

Jeudi 5 novembre 1914

Louis Pergaud écrit à son épouse :

   "Enfin, le courrier est arrivé ; je n'avais que dix-sept lettres, dont six de toi et une carte et le reste de Rocher, Machard, Joset, Lucien, Hennique, Rosny, etc, etc, tous les amis ...
   Aujourd'hui, nous sommes 90 dans une cave voûtée, à l'abri des obus 1. En qualité de sergent, je suis à l'entrée, et j'ai de l'air. J'ai réussi à dégoter dans des maisons éventrées, vides d'habitants, une chaise de paille, siège très confortable, et un Molière illustré et complet : entre deux obus je relis mes classiques. J'emporterai même le bouquin dans les tranchées et je charmerai les heures où l'on ne piochera pas, où l'on ne tirera pas, où l'on ne bouffera pas, en relisant M. de Pourceaugnac ou Amphitryon.
   Ma Chérie, il ne faut pas être triste, parce que le temps est brumeux, ou qu'il pleut. Nous avons toujours le moyen de nous mettre plus ou moins à l'abri et, ici, en bande, avec les loustics qui trouvent moyen de plaisanter avec les sujets les plus graves, on n'a pas le temps d'être triste, ni de s'ennuyer. Donc, ne te fais pas de soucis. J'ai à manger, - guère à boire, par exemple, - le quart de vin alterne avec la ration d'eau-de-vie, quand on ne l'oublie pas, comme hier ; je suis bien couvert, je suis même privilégié, puisqu'une partie de mon chargement est à la voiture."

1 - An cantonnement de Fresnes.