18 janv. 2015

Lundi 18 janvier 1915

Louis Pergaud écrit à son épouse :


   "A huit heures du matin revue du capitaine sur la route d'Haudiomont pour l'échange des effets. Il fait froid et malgré cela il faut enlever cache-nez et capote pour voir les pantalons.
   Sa mauvaise humeur est à son comble. Parce qu'un homme a brûlé sa capote au brasero et que la chose n'a pas été signalée, il ne parle rien moins que de me casser. Au reste, la section, me dit-il, est la plus mauvaise de la compagnie ; pas de discipline, on ne fout rien.
   Je ne peux m'empêcher de hausser les épaules - Tous les sous-officiers sont dans le même sentiment de colère contre une telle injustice.
   Le soir, nous apprenons que le pauvre homme est évacué d'office pour troubles de la vue ! Nous buvons largement à son rétablissement.
   Ce n'était pourtant pas un méchant homme, au contraire, mais "rien n'est si dangereux qu'un ignorant ami". Avec lui, on pouvait toujours attendre le pavé de l'ours*.
   Il est remplacé, dans le commandement de la compagnie, par un lieutenant que l'on dit excellent homme ... C'est M. de B... à la physionomie hirsute et au poil de sanglier, il ne sa lave jamais, est sale comme la boue de la Meuse ; on dit même qu'il ne porte ni chemise, ni chaussettes mais je crois qu'on exagère un peu ; enfin, c'est un "type 1".

* - Pavé de l'ours : ou « rendre un service d'ours » signifie « nuire à une personne en ayant eu l'intention de l'aider ». Cette expression est tirée d'un certain nombre de légendes où un ours, croyant bien faire, jette un pavé ou un objet lourd sur un homme afin de chasser un insecte ou autre bête parasite, et le tue sur le coup.


1 - "Garçon très intelligent, mais très service et sale. N'empêche qu'il nous a produit excellente impression." Carnet de guerre, lundi, 18 janvier 1915