22 déc. 2014

Mardi 22 décembre 1914

Louis Pergaud écrit à son épouse :

   ... Les "vaseux", c'est des indigènes que je parle, sont aussi inhospitaliers que possible. Le vieux salaud chez qui nous sommes cantonnés ne disait-il pas qu'il voudrait que deux ou trois marmites viennent à dégringoler sur le village. Il a eu de la chance que je ne l'entende pas. Tout ça parce que son foin sera naturellement perdu mais il ne pense pas, le vieux singe, aux villages bombardés et détruits de fond en comble, alors que le sien n'a souffert - si l'on peut appeler ça souffrir - que du passage et du stationnement des soldats.
   On ferait rudement bien d'évacuer toute cette vermine civile, en qui on ne peut d'ailleurs avoir qu'une confiance limitée. Et tous, ou à peu près, sont à l'avenant. Pourtant les épiciers et les bistros font des affaires d'or.
   J'ai reçu ton colis de Noël (le 5 kilos), envoyé par chemin de fer. Quelle joie j'ai éprouvée en retirant une à une toutes ces bonnes choses. Comme je sentais tout l'amour et toute la bonté d'âme qui avaient présidé à ce gentil arrangement. Ce n'est pas tant pour les gâteries dont tu me combles, - sans doute je les partagerai avec joie avec les camarades, - mais je sens tellement ton amour, ton coeur, ma chérie, que j'en suis remué profondément. Comme tu étais bien l'épouse et l'amante que j'avais rêvée, mon bon petit, et comme je saurai te prouver plus tard, un jour, combien tu m'es chère.
   Ceci me fait penser à cette pauvre Jo, dont tu me parles. Oui, bien sûr, je lui écrirai. Je sais combien ces rappels de souvenirs sont douloureux mais si elle est encore là-bas quand tu recevras ce mot, dis-lui bien que j'ai pleuré en cachette ce bon Chicon, cet ami que j'aimais de tout mon coeur, et je ne passe guère de jours sans penser à cette belle intelligence disparue, et sans songer aux heures charmantes vécues ensemble. Les larmes me montent encore aux yeux.

N.B. Une publication prévue dimanche est restée en réserve : Dimanche 20 décembre 1914