20 déc. 2014

Dimanche 20 décembre 1914

Louis Pergaud écrit à son épouse :

   ... Ma dernière journée de tranchée m'a un peu fatigué, encore qu'elle n'ait pas été trop pénible, ainsi que je te l'ai dit dans ma carte d'hier. Mais je n'ai pas dormi, et c'est cela qui m'a vânné ! vânné ! comme dit un de nos camarades en appuyant sur l'a comme sur un bâton de vieillesse.
   Les Boches ont été moins assommants que d'habitude ; ils ont très peu tiré. sans doute ont-ils de l'eau jusqu'aux jarrets, et se trouvent-ils placés, les pauvres !!! dans de mauvaises conditions physiques et tactiques. de l'autre côté du chemin, de Fresnes, à Manheulles, dans le secteur du 324e, nous les apercevions par moment, vidant leurs tranchées. Les flaques d'eau sautaient, luisant un instant sous les coups du soleil qui se montrait par intervalles.
   Avant-hier, dans les tranchées, à notre gauche, qu'occupait la 12e compagnie et qui sont à peine à 80 mètres des tranchées ennemies, il y a eu, vers 2 ou 3 heures de l'après-midi, une longue et bruyante conversation entre soldats boches et troufions français. D'après divers témoins entendus elle aurait à peu près débuté ainsi : "Hé, Kamarad, avez-vous bien dormi ? Nous ne fous afons pas trop embêtés. Ne tirez pas, nous ne tirerons pas." Réponse aimable du côté français. On monte, de part et d'autre, sur le parapet. Les Boches offrent du schnaps et des cigares contre du pain, et l'on cause. D'après eux, les Russes sont foutus, les Anglais aussi, ils vont entrer à Pétrograd et à Londres.
   - Et toi, tu reviens de Paris ? riposte un Parisien? Non, mais des fois, cause à l'autre.
   Un Boche s'est avancé, un paquet de tabac comme un rameau d'olivier au poing, entre les tranchées, mais il s'est arrêté à mi-chemin entre les réseaux.
   On dirait qu'ils ne professent plus pour nous la haine héréditaire qu'ils nous témoignaient auparavant, et que ce sentiment pour lequel ils ont une capacité particulière, se soit reporté sur l'Anglais. Malgré ces beaux préliminaires, la conversation s'en est tenu là, le colonel, à très juste titre, ayant interdit de communiquer de n'importe quelle façon avec l'ennemi. J'ajoute que ces gens-là ont donné suffisamment de preuves de mauvaise foi qu'on n'attache à ces démonstrations d'une sympathie bien tardive que l'importance qu'elles doivent avoir. Cela pourrait bien masquer une trahison nouvelle, et toutes ces belles demandes et promesses pourraient bien ne viser qu'à endormir notre vigilance. Heureusement qu'on n'en tient pas compte, et qu'on veille plus que jamais ...