20 févr. 2013

Dernière Invasion des Prussiens



Récit de le dernière Invasion Prussienne par l’abbé François Xavier Miget.
L'abbé écrit en mars 1871 à une personne dont on ne connait pas l'identité.
(Il fut curé du village de 1834 à 1885. Il décéda le 6 avril 1885 à Voillans où il est enterré).

Lettre du 16 mars 1871  Voillans J.M.J S.M.

Madame

Il y avait déjà quelques jours que l'on n'avait pas vu de prussiens, lorsque le facteur apporta d'assez mauvaises nouvelles. Une partie de l'armée du prince Frédéric-Charles devait passer par Baume. Cela n'était pas bien certain, mais pour s'en assurer, un habitant de Voillans se rendit à Baume et il rapporta que ces nouvelles étaient vraies et que l'avant-garde était déjà arrivée.
Joyeux de ne plus voir ces monstres, nous fûmes de nouveau plongés dans la tristesse (si l'on peut parler ainsi), car leur présence inspire une vraie tristesse. L'Avant-garde arriva à Baume le samedi et le dimanche, pendant que l'on sonnait la messe, cinq hulans* arrivaient à Voillans, venant d'Autechaux et annonçant l'arrivée de 290 soldats d'artillerie. (ils arrivèrent pendant la messe). Ils avaient 6 pièces de canon et six caissons qu'ils placèrent au beau milieu du Prélot, et d'autres voitures de bagages. Après avoir détaché leurs chevaux des pièces, ils les rangèrent dans les écuries et les granges qui avaient été marquées par l'avant-garde.

En entrant dans les maisons, ils faisaient une mine froide, toujours pour épouvanter les gens. Godard avait 18 chevaux et Xavier 12. A l'arrivée de ces barbares, un homme (Curty Etienne Marioutot), ayant voulu faire résistance fut conduit par eux au corps de garde, à coups de pieds et de pierres. Faut-il dire que ces hordes barbares n'ont pas d'humanité ? Martin voyant son frère ainsi maltraité par eux, essaya de l'arracher de leurs mains, spectacle horrible, ils le saisirent lui-même et le conduisirent au corps de garde, lui faisant subir les mêmes mauvais traitements qu'à son frère. Arrivés au corps de garde (chez Cordier) ils firent un fouet avec des saules enlacés et se mirent à leur donner la "schlague", mais pas longtemps.
On dit que Martin saigna au moins deux verrines de sang par suite de leurs coups. Martin hors de lui-même, parvint à s'échapper par une fenêtre et se sauva par Champraies. Arrivé là, les Prussiens s'aperçurent de sa fuite. Aussitôt, un hulan sauta à cheval et se mit à sa poursuite. Arrivé au-dessus de Champraies, ne connaissant pas le trajet, il battit et rebattit chemin sans savoir où aller et pendant ce temps Martin gagnait du terrain. Le hulan passa à peu près à un mètre loin de Martin qui était couché à plat ventre dans un buisson, heureusement, il ne le vit. Enfin il s'en revint sans avoir rien trouvé. Martin se réfugia à la Plaine Fin où il cracha le sang pendant toute l'après-midi. Ne se croyant pas assez sûr parce qu'il y avait des Prussiens à Autechaux, il s'en alla à Bois la Ville d'où il revint le mardi après le départ des Prussiens car ceux-là séjournèrent pendant deux jours.
Marioutot avait les pieds et les mains liés pendant la nuit, on ne lui donnait rien à manger. Dans cette affaire, les chefs s'en sont rapportés uniquement au témoignage de leurs soldats et n'ont point fait d'enquête. Les Prussiens lâchèrent Marioutot en partant. Voilà l'accident qui arriva à Voillans.
 Pour cette fois, Monsieur le curé avait 9 hommes à la cure, un capitaine un colonel et un adjudant, les officiers logeaient dans la maison de Monsieur le Président. Je vous dirai un peu, leurs moeurs et leur caractère. Ils sont voraces, sales et ont toute l'insolence du vainqueur. Ils font des ratas de pommes de terre, dégoutants. Ils mettent plein une marmite de pommes de terre épluchées. Quand elles sont cuites, ils y mettent une terrine de graisse de lard et mange cela avec dérision. J'en ai vu un manger deux terrines de cette nourriture, aussi a-t-il failli en perdre la vie. Un peu plus, on serait allé chercher le soufflet de la commune pour les dégonfler ; ils ne savent pas quand ils sont rassasiés. Les chefs sont aussi sales et aussi filous qu'eux. Un Lieutenant en temps de paix à pris une cravate à un habitant de Voillans
Le mardi il arriva des "pontonniers"* qui séjournèrent un jour et repartirent le lendemain. Depuis là, Dieu soit béni, on n'en a plus revus à Baume. Je resterais bien un an pour vous faire le récit de leurs forfaits, comme Enée lorsqu'il racontait à Didon, reine de Carthage, la prise de Troie par les Grecs, et je pourrais vous citer ce vers de Virgile : (Infandum regina pubes renovare dolorem) Reine vous m'ordonnez de renouveler d'indésirables douleurs.


Lettre fournie par Martine Sandrat provenant de la collection de Françoise Frey, Pierre Bindner et Michel Grosperrin.
Merci !


*"hulans" ou uhlans : c’est dans les campagnes que l’on donna ce nom aux soldats prussiens prétextant qu’ils n’avaient pas un langage humain, qu’ils poussaient des hurlements.

* les pontonniers sont des sections  du génie militaire chargés de réparer les ponts détruits par l'ennemi ou d'en créer sur les cours d'eau afin d'en permettre le franchissement par les armées.













La Guerre de 1870-1871

Bataille de Villersexel
Dans le canton de Baume et ses environs, la guerre de 70, comme on disait,  fut particulièrement  dure et douloureuse. En effet ce conflit franco-prussien se déroula en partie sur son sol. 
La défaite de la France, scellée à Sedan, se confirma à Metz, mais la lutte continua à Belfort. Le Général Charles Bourbaki qui tenta une percée fut victorieux à Villersexel le 9 janvier 1871, mais défait à Héricourt (Bataille de la Lizaine). Son armée  se replia sur Besançon à travers la neige, le froid et la bise, talonnée par les troupes prussiennes. 



Localement :
Baume les Dames est prise le 24 janvier 1871. Alexandre Borrot le raconte dans son "Histoire de Baume les Dames (pages 141 à 147)
Extrait : "Des réquisitions de toutes sortes s'abattirent sur la population : on en retrouve trace  dans la multitude de demandes d'indemnisation que présentèrent les Baumois, une fois la paix revenue. En outre, la ville se vit imposer, comme partout où les Allemands arrivaient, une contribution de guerre. Le général Schmeling frappa le canton de Baume d'une contribution de 64 000 francs, à payer dans un délai de cinq jours, sous peine des plus graves sanctions."

Belfort se rend le 18 février. Les Prussiens ne quittèrent le canton que dans la première quinzaine de juin. C'est au cours de cette occupation que la lettre présentée ci-dessus a été rédigée par l'abbé François Xavier Miget curé de Voillans.
Pierre Guillaume dans son ouvrage sur "Le Village Voillans et Ses Habitants" note, page 4 "Les réquisitions, pendant la guerre de 1870 ruinèrent les habitants. Une indemnité de 3 650 francs votée par le conseil municipal leur fut allouée"



On trouve une lettre un peu antérieure (23 février 1871) à Séllières 39