29 nov. 2020

Ancienne Dérogation 1720

On vient de nous proposer un document passionnant 

 Jérémie Ferrer-Bartomeu, docteur en histoire, diplômé de l'École des Chartes et enseignant-chercheur à l'université de Neuchâtel (Suisse), ne s'attendait pas à un tel succès en postant sur Twitter la photo d'un laissez-passer du 18e siècle... qui ressemble en plusieurs points à l'attestation dérogatoire de déplacement obligatoire en cette période de confinement.

 

‎Daté du 4 novembre 1720, ce document a été rédigé alors que sévissait dans le sud de la France une épidémie de peste, dite peste de Marseille. Plus de 100.000 personnes y laissèrent la vie. «C'est une des dernières très grandes poussées épidémiques que connaît la France, à l'exception bien sûr de la grippe espagnole», souligne l'universitaire.

 

Ce sauf-conduit, vendu par la librairie Traces Écrites jeudi soir au prix de 500 euros, autorise Alexandre Coulomb, consul de 28 ans «de taille médiocre [ordinaire, NDLR] et aux cheveux châtains», à quitter Remoulins (Gard) «où il n'y a aucun soupçon de mal contagieux» pour se rendre à Blauzac (Gard). Le signataire, le juge-consul Fabre, «prie ceux qui sont à prier» de laisser librement circuler le jeune homme.

 

Un monde aux mobilités réduites

Comme l'attestation dérogatoire de déplacement actuellement en vigueur, ce formulaire est en partie imprimé, en partie manuscrit. Jérémie Ferrer-Bartomeu souligne que la précision des informations présentes sur ce laissez-passer - taille et couleur de cheveux d'Alexandre Coulomb - peut s'expliquer par la nécessité d'identifier de façon claire son propriétaire.

Bien plus qu'aujourd'hui, ce certificat illustré par les armes de la ville de Remoulins était en effet essentiel pour la personne qui le portait. «Au 18e siècle, la répression était très stricte. C'est pourquoi il était si important de disposer d'un sauf-conduit émanant d'une autorité», commente l'historien. «Cela montre l'importance qu'est en train de prendre la surveillance de l'État sur les individus.»

Autre élément de contexte essentiel à prendre en compte : «À l’époque, même hors épidémie, les mobilités étaient réduites. Le monde était extrêmement compartimenté : on ne rentrait pas comme ça dans une ville», rappelle Jérémie Ferrer-Bartomeu. «On se méfiait de l'étranger et en période d'épidémie, ces réflexes profondément ancrés redoublaient.»